Brève urbanisme #6

Précisions sur les conditions d’application de la suspension du délai de validité d’une autorisation d’urbanisme en cas de recours contre celle-ci.

Le Conseil d’Etat a récemment mis fin à l’incertitude qui pouvait subsister sur l’interprétation de la notion de « décision irrévocable » au sens de l’article R. 424-17 du code de l’urbanisme.

Tout d’abord, rappelons qu’en application des dispositions de l’article R. 424-17 du code de l’urbanisme, le permis de construire est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans un délai de 3 ans à compter de sa notification.

Et l’article R. 424-19 du code de l’urbanisme précise qu’en cas de recours contre l’autorisation d’urbanisme, le délai de validité est suspendu jusqu’au prononcé d’une décision juridictionnelle irrévocable.

Si certaines juridictions avaient pu considérer que la décision devient irrévocable à sa date de lecture, l’emploi du terme « irrévocable » laissait à penser qu’il s’agit évidemment de la date à laquelle elle ne peut plus être remise en cause, c’est-à-dire une fois le délai d’appel ou de cassation expiré.

Certaines juridictions avaient d’ailleurs déjà précisé que le délai de validité d’une autorisation se trouve suspendu dès la date de saisine du tribunal administratif, et ce jusqu’à l’expiration du délai d’appel ouvert à l’encontre du jugement, et non à compter de la date de lecture du jugement de rejet (voir par exemple : CAA Lyon, 14 juin 2016, req. n° 14LY02741 et CAA Marseille, 6 avril 2023, req. n° 21MA01935).

Le délai d’appel, ou de cassation le cas échéant, devait donc, en toute logique, être pris en compte dans la suspension du délai de validité du permis.

A RETENIR

Le Conseil d’Etat vient confirmer, par une décision bienvenue, cette interprétation, en jugeant que le délai de validité du permis de construire est suspendu à compter de la date d’introduction du recours devant la juridiction, et recommence à courir à l’expiration du délai d’appel du jugement, soit deux mois après la notification de la décision.

Retrouvez ici la décision du Conseil d’Etat (CE, 21 février 2025, req. n° 493902).

Incompétence du Conseil d’Etat pour statuer sur la légalité d’un permis modificatif, d’une décision modificative ou d’une décision de régularisation dans le cadre du recours dirigé contre le permis initial.

Par une décision du 7 mars 2025, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question de savoir si, lorsqu’un tribunal administratif statue en premier et dernier ressort, doit ou non transmettre au Conseil d’Etat le recours formé contre le permis modificatif délivré après application des dispositions de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme (permettant au juge administratif d’annuler partiellement une autorisation) ?

Dans cette affaire, un permis de construire un immeuble de logements collectifs avait été attaqué, puis annulé partiellement par le Tribunal administratif en tant qu’il a autorisé l’installation de 15 places de stationnement sur la bande littorale des 100 mètres. Le territoire de la commune de Talloires-Montmin (Haute-Savoie) est en effet située sur les rives du lac d’Annecy, où s’applique donc la loi Littoral.

Un permis de construire modificatif a été délivré à la société pétitionnaire, également attaqué devant le Tribunal administratif.

Le jugement du Tribunal administratif annulant partiellement le permis, rendu en premier et dernier ressort, a fait l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Le Tribunal administratif a estimé nécessaire de transmettre également le recours dirigé contre le permis modificatif au Conseil d’Etat.

En effet, aux termes de l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme, lorsqu’un permis modificatif intervient au cours d’une instance dirigée contre le permis initial, et que ce permis modificatif est communiqué aux parties, il ne peut alors être contesté par les parties que dans le cadre de cette même instance.

Se posait donc la question de savoir si le Tribunal administratif doit, lorsque le jugement par lequel il a statué en premier ressort sur la légalité du permis de construire initial fait l’objet d’un pouvoir en cassation, transmettre au Conseil d’Etat, en application des dispositions susvisées, le recours formé contre le permis modificatif ?

Le Conseil d’Etat répond par la négative, en jugeant que « il ne résulte pas des dispositions de l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme citées au point 1 que le juge de cassation, saisi d’un pourvoi dirigé contre un arrêt ou un jugement relatif au permis de construire initialement délivré, soit compétent pour statuer en premier et dernier ressort sur la légalité d’un permis modificatif, d’une décision modificative ou d’une mesure de régularisation communiqués aux parties ».

A RETENIR

Le Conseil d’Etat en conclut que le Tribunal administratif reste compétent pour connaître, en premier ressort, du recours dirigé contre le permis modificatif, quand bien même le jugement rendu en premier et dernier ressort sur le permis initial a fait l’objet d’un pourvoi.

Comme le relève M. Puigserver dans ses conclusions sous cet arrêt, en l’espèce, le pourvoi en cassation dirigé contre le jugement de première instance, statuant certes en premier et dernier ressort, n’avait pas encore été admis au moment où le Tribunal administratif a transmis le recours contre le permis modificatif. De plus, une fois le pourvoi admis, il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice que le Tribunal administratif statue au fond sur la légalité du permis modificatif.

Retrouvez ici la décision du Conseil d’Etat (CE, 7 mars 2025, req. n° 497329).

L’administration peut saisir le juge des référés pour faire cesser une infraction au droit de l’urbanisme.

On sait que l’article L. 480-14 du code l’urbanisme permet à la commune de saisir le tribunal judiciaire afin de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié sans autorisation, ou en méconnaissance d’une autorisation délivrée. Cette action se prescrivant par dix ans à compter de l’achèvement des travaux.

Des aménagements avaient en l’espèce été réalisés sans autorisation, sur un terrain classé en zone naturelle et en zone d’aléa fort d’un plan de prévention des risques inondation (PPRI).

La commune, sur le fondement de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, et de l’article 835 du code de procédure civile, avait exercé une action en référé, accueillie par le tribunal judiciaire puis par la cour d’appel, qui ont condamné le maître d’ouvrage à la remise en état sous astreinte.

Le maître d’ouvrage s’est pourvu en cassation contre ces décisions, et arguait que les dispositions de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme ne permettent pas la commune de saisir le juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article 835 du code de procédure civile.

A RETENIR

La Cour de cassation confirme les décisions des juges du fond et rejette le pourvoi, en exposant que l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme qui « autorise la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme à saisir le tribunal judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation exigée par le livre IV de ce code, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du même code, en violation de l’article L. 421-8, n’a ni pour objet ni pour effet de priver ces autorités de la faculté de saisir le juge des référés, sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile, pour faire cesser le trouble manifestement illicite ou le dommage imminent résultant de la violation d’une règle d’urbanisme et prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent ».

Cette précision est bienvenue pour les collectivités qui disposent ainsi du pouvoir de saisir le juge civil des référés pour faire ordonner, le cas échéant sous astreinte, la remise en état ou la mise en conformité d’un ouvrage irrégulièrement édifié
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Retrouvez ici la décision de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, (20 mars 2025, n° 23-11.527).